Pierre-Marie Bisson est un Chef barman de Palace dans sa définition la plus noble. Si "The Grumpy Frenchman" - un surnom ramené de sa période aux UK – mène le Bar Botaniste du Shangri-La Paris avec une rigueur quasi militaire, il y dévoile aussi toute sa sensibilité et sa créativité à travers des cocktails d’une précision et d’une poésie folle. Pour s’exprimer clairement, il faut maitriser les mots et leurs sens. Pour les cocktails, il est question d’ingrédients, de leur association mais aussi et surtout de la manière dont on les travaille. L’artisanal a un rôle essentiel pour Pierre-Marie qui s’attache à surprendre ses clients mais sans pour autant les perdre !
D’une licence en lettres et civilisations étrangères américaines et britanniques à l’apprentissage de la mixologie, n’y avait-il vraiment qu’un pas ?
Géographiquement, il n’y avait effectivement qu’un pas. Ma licence était rue Charles V près du métro St Paul, et le premier bar où j’ai travaillé La Perla était rue François Miron à quelques minutes seulement de là. C’est en découvrant un ancien camarade de lycée derrière le comptoir que j’ai commencé à m’intéresser à cet univers et que j’ai fini par être embauché là-bas.
Qu’avez-vous découvert dans la mixologie que vous n’aviez pas trouvé ailleurs ?
Je dis souvent aux clients que contrairement à beaucoup de métiers où l’on ne se rencontre qu’entre gens du même monde, le bar fait venir des gens de toute sorte et de tous horizons. Ce qui permet soit d’apprendre soit d’enseigner au moins une chose par jour. C’est une formation constante, au niveau de mon métier, mais c’est également très enrichissant sur le plan personnel.
Dans tout processus créatif, il y a des moments clés (techniques, réflexions, etc.). Qu’est-ce qui compte dans l’élaboration de vos cocktails ?
Plusieurs choses peuvent venir en considération quand on crée un cocktail. Un ingrédient qu’on a goûté (mangé ou bu), un parfum, une expérience qu’on veut retransmettre. Le plus important pour moi est l’équilibre du cocktail. Trouver un pont entre deux ou trois ingrédients au maximum et créer de nouvelles saveurs, quelque chose qui interpelle ceux qui boiront le verre. Ensuite, il suffit de peaufiner en arrondissant les angles, en rajoutant un peu d’acide ou d’amertume, d’herbacé, etc. Le plus important c’est sa base, le visuel, l’histoire qu’on en tire vient souvent ensuite.
Pourquoi le Bar Botaniste du Shangri-La Paris est-il un lieu unique ?
Le Bar Botaniste rend hommage au Prince Roland Bonaparte, ancien maître de ces lieux et botaniste français qui compila en son temps le plus grand herbier privé du monde. Le Bar Botaniste est un bar dans un hôtel plutôt qu’un bar d’hôtel. L’idée est de garder un côté intimiste et feutré (non pas sans rappeler les clubs de membres londoniens dont je m’occupais avant de rentrer en France). Une sorte de bulle hors du temps qui permet à nos visiteurs de profiter d’un moment avec nous sans penser au monde extérieur.
Comment y rendez-vous hommage au « monde végétal » ?
Notre menu comporte bien évidemment des ingrédients insolites afin de faire voyager tous ceux qui nous rendent visite, et cela passe par de nombreuses plantes ou épices du monde entier que nous utilisons dans la cuisson de certains ingrédients ou en infusion afin de développer de nouvelles saveurs à proposer dans nos cocktails.
Comment s’y exprime « l’inhabituel » et « le singulier » ? Uniquement par l’expérimental ?
Je pense que l’inhabituel et le singulier sont importants afin de faire découvrir de nouvelles choses à ceux qui viennent chez nous puisque c’est évidemment ce qu’ils attendent. Il faut néanmoins ne pas oublier que tout n’est pas forcément clair et que le monde du cocktail reste assez obscur pour beaucoup. Arriver à trouver le juste milieu afin que le plus « dur » ou le plus compliqué soit fait en amont afin que la proposition finale semble plus accessible et que l’explication soit compréhensible pour tous est très important. C’est pourquoi nous faisons des choses relativement simples comme de la cuisson sous vide, des infusions et des sirops maison principalement car ce sont des choses faciles à expliquer, voire reproduire.
En quoi l’artisanal y a-t-il une place essentielle ?
L’artisanal est quelque chose d’important pour nous car nous créons de multiples choses pour nos cocktails. En essayant d’accorder des ingrédients ou des goûts qui, de prime abord, ne paraitraient pas compatibles par exemple, en comparant les températures pour les infusions afin de trouver le meilleur équilibre, etc. Tout comme en cuisine, il est important de sentir et de goûter ce qu’on fait, de voir l’eau frémir, les poudres se diluer dans le liquide, les alcools foncer en s’infusant…
Parlez-nous de votre création autour de Anaë Gin.
L’idée est venue d’une vieille recette de golfeurs de 1967 que mon grand-père me faisait à la maison étant enfant, simple mélange d’eau tonique et de jus de pamplemousse rose. Je voulais rendre hommage à ses saveurs tout en jouant quelque peu autour de celles-ci. J’y ai rajouté un trait d’apéritif de vin à la pêche pour le côté fruité et sucré, une larme d’eau de vie d’amande italienne et un peu de liqueur de gentiane pour son côté astringent qui se marie très bien avec les agrumes –tout comme Anaë qui contribue à la fraicheur de ce cocktail mais aussi à son côté légèrement épicé et floral.
En quoi le Gin Anaë vous a-t-il parlé et touché ?
Anaë arrive à jouer sur les deux tableaux : dans les textes c’est un gin très intéressant car français donc local, bio donc respectueux de l’environnement et du terroir mais ce n’est pas tout car c’est un gin très aromatique dont la fraicheur et les notes d’agrumes et d’épices en font un alcool que l’on peut déguster seul ou dans des cocktails.